Bras de fer entre Elon Musk et Thierry Breton sur la modération de Twitter


Qu’il semble loin, ce mois de mai 2022 où le commissaire européen Thierry Breton et le patron de X (ex-Twitter), Elon Musk, se filmaient ensemble, souriants, pour afficher leur accord sur les règles fixées par l’Europe pour les réseaux sociaux. Ces mardi 10 et mercredi 11 octobre, les deux hommes ont échangé publiquement menaces et moqueries, après que M. Breton a sommé M. Musk d’appliquer fermement sous vingt-quatre heures les règles fixées par le règlement européen sur la modération des plates-formes, le Digital Services Act (DSA), alors que les contenus trompeurs et violents ont inondé Twitter après le début de l’offensive du Hamas contre Israël, le 7 octobre.

Malgré un échange de vive voix entre les équipes de MM. Musk et Breton, ce 11 octobre dans l’après-midi, la discussion a tourné au… clash public, après l’envoi par le commissaire européen au marché intérieur d’un courrier formel à Twitter l’enjoignant de se mettre en conformité avec le DSA. Tandis que le Français publiait ses premiers messages sur BlueSky, l’un des principaux concurrents de Twitter, le milliardaire américain exigeait que le M. Breton détaille publiquement les griefs qu’il avait envers sa modération, faisant mine d’ignorer de quoi parlait son interlocuteur.

Les exemples, pourtant, ne manquent pas. Depuis le déclenchement de l’attaque du Hamas sur Israël, de multiples vidéos très violentes de meurtres de civils ont été diffusées sur X, ainsi que des appels à la haine, et de nombreuses images truquées ou sorties de leur contexte. Des images issues du jeu vidéo réaliste Arma 3 ont ainsi été présentées comme des vidéos amateur de combats ; une fausse vidéo de la BBC affirmant que les armes utilisées par le Hamas provenaient d’Ukraine a été abondamment relayée par des comptes pro-russes.

Ces fausses informations ont été peu et mal modérées ces derniers jours – la plupart des comptes X les ayant massivement diffusées sont toujours en ligne. Dans un point d’étape publié mardi 10 octobre, le réseau social expliquait pourtant avoir « identifié [l’attaque du Hamas] comme une crise nécessitant le plus haut niveau de réaction » de sa part, et assurait avoir « agi sur des dizaines de milliers de contenus » violents ou haineux, et avoir supprimé « des comptes du Hamas récemment créés ».

Test pour l’Europe

Historiquement défaillante, la modération de Twitter a été l’un des secteurs où Elon Musk a réalisé d’importantes coupes budgétaires après son acquisition du réseau social, le 27 octobre 2022. L’entreprise a coupé ses contrats avec les prestataires assurant l’essentiel de la modération. En parallèle, le milliardaire, également patron de Tesla, a fait évoluer les règles de la plate-forme, restaurant des comptes bannis et assouplissant la liste des contenus et pratiques jusque-là interdits.

En cette période de tensions extrêmes, la modération des contenus sur les réseaux sociaux est plus que jamais un enjeu politique. « X décide de relâcher sa modération en pleine crise et de laisser de nombreux contenus illicites accessibles en ligne, le DSA est clair. Nous avons saisi la Commission européenne », a déclaré le ministre français délégué au numérique, Jean-Noël Barrot, mardi, à l’Assemblée nationale. Peu avant, le député Renaissance Eric Bothorel avait estimé sur le réseau qu’une réaction forte de Bruxelles était la condition sine qua non pour éviter que « que le DSA soit mort-né ».

Conscient que le règlement européen joue sa crédibilité – et soucieux ne pas singulariser l’entreprise d’Elon Musk – les services de Thierry Breton ont également envoyé, mercredi, un courrier à Meta, la maison-mère de Facebook et Instagram, pour la rappeler à ses devoirs mais en mentionnant, davantage que la situation en Israël et à Gaza, la couverture des élections en Europe, notamment en Slovaquie. Dans les prochains jours, une troisième lettre devrait être adressée à TikTok, pointant notamment des vidéos de « défis » dangereux pour les mineurs.

Un pouvoir de sanction

Aucune mesure immédiate ne devait être prise à l’extinction du délai de vingt-quatre heures fixé par M. Breton. Pour l’instant, les réponses – ou les non réponses – que X ou les autres réseaux sociaux apporteront vont s’ajouter aux informations déjà accumulées par la Commission dans ses dossiers depuis l’entrée en vigueur du DSA. D’un point de vue strictement procédural, l’Union européenne ne peut rien engager tant que le comité composé des vingt-sept coordinateurs DSA de chaque Etat-membre (l’Arcom pour la France) n’aura pas été mis en place. Or, celui ci ne sera opérationnel qu’au début 2024.

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Ensuite, la Commission dispose de pouvoirs de sanction importants, mais dont la mise en œuvre est progressive : si elle soupçonne un non-respect des obligations, elle peut ouvrir une procédure, et exiger des informations, voire des mesures provisoires. Si le réseau social visé propose des engagements, elle peut les accepter ou les rejeter.  Si le manquement persiste, Bruxelles peut exiger un plan d’action, avec des audits indépendants. Puis infliger à l’entreprise une amende allant jusqu’à 6 % de son chiffre d’affaires mondial annuel, ou 1 % en cas de diffusion d’informations « inexactes, incomplètes ou trompeuses ». Voire, enfin, demander à la justice la suspension du service en Europe, pour une durée de quatorze jours, renouvelable.

Mais l’heure est déjà au rapport de force. « En envoyant ces lettres, on met un coup de pression pour faire bouger les lignes, explique-t-on dans l’entourage de Thierry Breton. On fait aussi de la politique. » Bruxelles, comme Elon Musk, savent jouer dans cette affaire une partie de leur image.



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Catégorie article Politique

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